Le prieuré bénédictin de Longueville-sur-Scie
Implantation
Il ne reste, à ce jour, aucun vestige du plus remarquable édifice religieux établi à Longueville-sur-Scie. Sept siècles de rayonnements au-delà des frontières du duché de Normandie puis du royaume de France nous sont rapportés grâce aux travaux de restauration collectés par deux arpenteurs au milieu du XVIII° et présents dans le recollement des fonds du prieuré Sainte-Foy de Longueville-sur-Scie.
Absent de toute représentation imagée, son emplacement relève de la juxtaposition de plusieurs facteurs géographiques et topographiques.
Géographiquement, la rive droite de la Scie présente une surface plane très importante contrairement à la rive opposée. De plus, l’ordre bénédictin, à l’instigation du projet de construction de l’édifice prieurale imposait des règles d’établissement très strictes soit la présence d’eau, de moulin et de jardins situés à l’intérieur de l’enclos du prieuré.
Topographiquement, la présence de coteau à proximité de la zone d’implantation limite considérablement la marge de construction. L’article 44 de la liasse 30 des recollements des fonds nous informe que « la cote qui descend jusqu’au mur à l’est de la sacristie ». Conforté par le procès verbal des arpenteurs en 1752, ces derniers positionnent l’ensemble prieurale à huit toises et demi de la rivière soit environ seize mètres cinquante.
Fondation
Fondation tantôt attribuée à l’année 1084, tantôt attribuée à 1093, le domesday book établi en 1086 et relatant le dénombrement des biens anglais solutionne le différent. L’ouvrage majeur du XI° siècle ne fait aucune mention de biens possédés par les moines du prieuré bénédictins de Longueville-sur-Scie. Or, dès sa construction, Gauthier Giffard II lui avait attribué des biens outre-manche notamment au passé glorieux de son illustre père, compagnon du roi Guillaume. Cette hypothèse est conforté par la chronique de Fécamp qui relate que : « MXCIII construction Sanctae Fidéi Longae Villae ». 1093 est donc bien l’année de construction et d’implantation du prieuré bénédictions Sainte-Foy de Longueville.
Le dernier quart du XII° siècle ressort comme l’apogée du rayonnement de l’ordre clunisien sur la péninsule européenne. Deux de ses abbés : Odon de Lagery et Pascal II se succèdent de 1088 à 1118 sur le siège de Saint-Pierre. Cette protection spirituelle de Rome sur l’ordre lui forge incontestablement une renommée et une puissance incitant des seigneurs locaux à favoriser l’implantation de monastère bénédictin sur leur fief.
Edification
Edifié en 1093, douze moines noirs prennent place sous les ordres de Dominus Nargaldus, premier prieur des lieux : « Pro domino Nargaldo, primo priore huijus loci ». Au XIII° siècle, trente six moines y résident, faisant de Longueville-sur-Scie, le prieuré dépendant de la Charité-sur-Loire le plus important et le plus conséquent de Normandie.
Cette dernière, fille ainée de Cluny, régnait sur quarante-cinq prieurés ; Longueville en était le domaine le plus septentrional.
Cependant, dès 1516, un arrêt du 16 mars, de la cour du parlement de Normandie l’état d’abandon manifeste des bâtiments prieuraux « la dite église entretenue ains tumbe en ruyne et décadence ensemble les manoirs, lieux et places dudit prieuré ». Le constat des deux arpenteurs, deux siècles plus tard, est tout aussi affligeant et conforte la réhabilitation et la restauration instaurée depuis 1740.
Les bâtiments
Initialement dédiée à la Vierge Marie, le prieuré reçoit le vocable de Sainte-Foy dès l’abandon de la collégiale.
L’église
Bâtie en pierre de taille et moellons, l’église, pavée en terre cuite, se caractérise par un transept et un chœur d’inspiration romane tandis que le vaisseau est d’architecture gothique. L’ensemble a pour dimension hors murs : 17 toises 4 pieds et 6 pouces de largeur pour 37 toises et 6 pieds de longueur soit 34.60 x 73.10 mètres.
Le chœur se trouvait à la croisée des transepts sur une base carrée de cinq toises et demi et supportée à chacun de ses angles par quatre puissantes piles cruciformes. Conformément au plan du chevet bénédictin, le chœur correspondait à deux travées de la nef et occupait la largeur totale des croisillons.
Le croisillon nord, d’une longueur de trois toises et demie, était plus court d’une demi-toise que son homologue sur la face sud de l’église. Remanié au cours des siècles passés, le croisillon sud n’occupait plus sa fonction première. De ce fait, l’intégralité de son volume était occupée, au XVIII° siècle, par un imposant escalier qui permettait la desserte du premier étage de l’aile sud des bâtiments claustraux. Le rez-de-chaussée de ce croisillon donnait accès, quant à lui, à la galerie du cloître par le biais d’une porte.
Le transept nord avait gardé sa vocation soit la chapelle des morts. Prédominant dans la liturgie bénédictine, Odilon de Cluny, dès le début de son abbatiat au sein de l’ordre clunisien, insiste sur le nécessité d’instaurer pour eux et leurs saluts un jour commémoratif voué aux morts au lendemain de la Toussaint soit le 2 novembre. Ce vocable était donc très répandu au sein des prieurés et obédiences de l’ordre de Saint-Benoît.
Le sanctuaire était séparé du reste du chevet par trois marches implantées dans les deux piles composées. Ce dernier prenait place dans l’unique abside de la prieurale et était percé de cinq fenêtres ébrasée et réparties uniformément sur les trois toises et un quart de diamètre. Cette disposition architecturale retrouve son origine dans l’abbatiale de Cluny II. Cette conception se retrouve également dans la séparation du chœur et des collatéraux par la présence d’arcades en plein cintre, l’absence totale de déambulatoire autour du chœur et les vocables de Saint-Benoît et de la Vierge pour les collatéraux.
Au regard du rapport de 1752, la nef est quant à elle d’inspiration gothique. Initié par Philippus, prieur de Sainte-Foy en 1329, elle était constituée de deux bas-côtés et d’une nef principale pour une dimension hors-murs de 31m x 20m. Six travées la divisée et percée de larges baies garnies de vitraux ; le plafond quant à lui était lambrissé. Deux tourelles prenaient place en contrehaut du portail tandis que deux arcs rampants se positionnaient de chaque coté. La partie nord du portail était dédié aux sépultures de Drogon de Trubeville, isabelle d’Eu et de Gauthier Giffard II et son épouse Agnès de Ribemont. Cet dernière sépulture était surmontée d’une épitaphe louant le détenteur de l’honneur et instigateur de l’implantation du prieuré :
« Stemma Gifardorum Gualterius ingéniorum, quae meruit vivens, busta sepultus habet. Templi fundator praesentis et aedificator, hoc velut in proprio conditus est tumulo. Qui se magnificum patriaque probavit amicum, dux virtute potens, religiosorum sed praecipue monachorum cultor, multimodae profuit ecclesiae »
Encore en élévation en 1793, l’église prieurale n’est plus mentionnée dans l’acte de vente entre Michel COUSSIN et le citoyen LE CHEVALLIER en 1799.
Les bâtiments claustraux
Les bâtiments claustraux ont également subis de nombreux remaniements. La seule attestation dont nous disposons est le plan de 1751 relatif aux travaux de restauration et de reconstruction. Cependant, grâce à ce dernier, nous pouvons étayer certaines hypothèses quant aux bâtiments antérieurs et notamment le cloître.
L’absence de contrefort sur la partie méridionale du vaisseau de l’église prieurale tend à nous démontrer que les murs de l’édifice étaient supportés par un mur adjacent et non par des renforts collatéraux. A la vue de l’emplacement disponible entre la nef et le croisillon sud, cela nous permet de pouvoir positionner, dans cet espace clos, l’ancien cloître. Ses dimensions étaient de 11 toises, 4 pieds et 3 pouces du nord au sud et 13 toises, 3 pieds et 3 pouces d’est en ouest. La galerie d’une largeur de neuf pieds et demie était délimitée par un alignement de trente piliers en brique et silex supportant elle-même une charpente en orme.
Les bâtiments conventuels, quant à eux, étaient divisés en trois corps distincts. Le bâtiment ouest (14 toises et demie du nord au sud pour 3 toises et demie d’est en ouest) se situait dans le prolongement du portail sud et était constitué d’un étage pour une hauteur globale de 20 pieds. Dédié aux communs, on pouvait y trouver la cuisine, l’infirmerie, un petit réfectoire ou encore les latrines. Le bâtiment sud (14 toises d’est en ouest pour 6 toises du nord au sud) était perpendiculaire au précédent bâtiment et avait pour usage de recevoir le grand réfectoire avant d’avoir la fonction d’entrepôt. Enfin le dernier bâtiment orienté à l’est (14 toises et 4 pieds du nord au sud pour 3 toises et demie d’est en ouest) regroupait l’ensemble des communs relatifs à la vie quotidienne des moines noirs soit les logements pour le premier étage et le chapitre pour le rez-de-chaussée.
L’église détruite avant 1799, l’aile est servira de 1816 à 1889 de filature tandis que l’enclos servira dès 1819 de carrière de briques et silex.